

Cameroun : L'assemblée nationale baptisée « Palais Paul Biya », hommage démocratique ou culte de la personnalité ?
Le nouveau siège de l'assemblée nationale baptisé "Palais Paul Biya"
Depuis ce vendredi 25 avril 2025, le siège de l'Assemblée nationale camerounaise a été officiellement baptisé « Palais des verres Paul Biya ». Cette démarche, célébrant le chef de l'État en exercice depuis plus de quatre décennies, brouille davantage la frontière entre pouvoir législatif et exécutif au Cameroun.
La cérémonie, grandiose et faste, a réuni plusieurs milliers de personnes, principalement des militants du parti au pouvoir (Rdpc) et des formations politiques de la majorité présidentielle. Le « tout Yaoundé politico-administratif » s'est rassemblé pour un événement qui, selon plusieurs observateurs, ressemblait davantage à un meeting politique qu'à une simple inauguration.
Première historique
« C'est le premier édifice public qui porte le nom du président Paul Biya. Il n'y en a pas eu d'autre avant celui-ci. Et s'il a accepté, ça veut dire que c'est aussi un message très fort qu'il passe au peuple camerounais », a affirmé Théodore Datouo, vice-président de l'Assemblée nationale, justifiant ce choix controversé.
La symbolique est d'autant plus forte que cet imposant bâtiment, fruit de la coopération sino-camerounaise, représente le temple de la démocratie représentative. Pour le président de l'Assemblée nationale, cette décision reflète « une incontestable reconnaissance des Députés et du peuple tout entier à l'endroit du promoteur du Renouveau National ». Il souligne également qu’en «43 années de Magistrature Suprême, c'est la première fois que Son Excellence Monsieur Paul Biya accepte qu'un édifice public porte son illustre nom. Qui dit mieux ?»
Séparation des pouvoirs : entre théorie et pratique
Cette décision intervient dans un contexte où la séparation des pouvoirs fait l'objet de débats au Cameroun. Pour les défenseurs de cette initiative, à l'image de Théodore Datouo, « le respect de la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif n'a jamais failli » sous Paul Biya. Le vice-président de l'Assemblée nationale présente le président comme « un homme qui a sacrifié des décennies de sa vie à servir le Cameroun » et qui « a apporté à notre pays la démocratie et le développement ».
Cependant, des voix discordantes se sont élevées contre ce baptême. Me Akere Muna, candidat déclaré à l'élection présidentielle, s'est insurgé contre ce qu'il qualifie « d'atteinte grave aux principes démocratiques et à la séparation des pouvoirs ». Pour de nombreux experts en droit constitutionnel, attribuer le nom d'un président en exercice à l'institution chargée de contrôler l'action gouvernementale soulève de sérieuses questions quant à l'indépendance réelle du pouvoir législatif.
Entre célébration et calcul politique
L'événement n'a pas manqué d'être interprété comme un signal politique fort. Malgré l'absence remarquée du président lui-même, représenté par le Premier ministre, la cérémonie a été ponctuée d'appels à Paul Biya pour qu'il « poursuive son œuvre ». « Nous célébrons quelqu'un qui a très bien travaillé et nous pensons qu'il peut continuer encore à faire davantage. C'est à lui de décider. Mais nous lui demandons de continuer », insiste sans ambiguïté le député Théodore Datouo.
Emilien Denis Atangana, chef d'un parti politique d'opposition présent à la cérémonie, nuance les critiques : « Ceux qui ont pensé à baptiser cet édifice Palais des verres Paul Biya ont sans doute regardé le profil et la carrière de l'homme. Le président Paul Biya, c'est quand même 60 ans de haute administration et plus de 40 ans de président de la République. Malgré tout ce qu'on peut dire, c'est une carrière exceptionnelle. »
Message ambigu
Cette cérémonie soulève une question légitime : peut-on véritablement parler de séparation des pouvoirs lorsque le siège même du pouvoir législatif porte le nom du chef de l'exécutif ? Cette décision, saluée par les partisans du régime comme un hommage mérité, est perçue par d'autres comme symptomatique d'une confusion institutionnelle préoccupante.
Dans une démocratie, le parlement est censé incarner un contre-pouvoir, garantissant l'équilibre institutionnel par son indépendance vis-à-vis de l'exécutif. En acceptant que son nom soit associé à ce symbole du pouvoir législatif, Paul Biya envoie un message ambigu quant à la maturité démocratique d'un pays qu'il dirige depuis plus de quatre décennies.
Alors que le Cameroun fait face à de nombreux défis, tant sécuritaires qu'économiques, cette cérémonie fastueuse ayant rassemblé près de 4 000 invités pose également la question des priorités nationales et de la vision politique pour l'avenir du pays.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com


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