

Côte d'Ivoire : Protection, Sécurité, Dignité, l'interruption volontaire de grossesse entre avancée légale et défis persistants
Le 19 juin 2024, la Côte d’Ivoire a franchi un cap en modifiant son Code pénal pour y inscrire l’article 427 nouveau, un texte qui encadre désormais l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sous conditions précises. Cette réforme, saluée par des associations de défense des droits des femmes, marque une rupture avec des décennies de silence juridique et de pratiques clandestines. Pourtant, derrière cette avancée se cache une réalité complexe : si la loi ouvre une porte, les murs du tabou, de la stigmatisation et de l’inégalité d’accès aux soins restent debout.
L’article 427 nouveau autorise l’avortement lorsque la vie de la femme est en danger, en cas de grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste, ou lorsque la santé physique ou mentale de la mère est menacée. Un cadre qui, sur le papier, protège.
Mais sur le terrain, combien de femmes connaissent ces dispositions ? Combien de professionnels de santé sont formés pour les appliquer sans jugement ? Les chiffres des avortements clandestins, eux, ne mentent pas : chaque année, des milliers d’Ivoiriennes risquent leur vie dans l’ombre, par peur des représailles sociales ou par méconnaissance de leurs droits.
La peur est l’ennemi invisible de cette loi. Peur des regards accusateurs, peur de demander de l’aide, peur de se confier à un système de santé parfois perçu comme hostile. « Beaucoup de patientes arrivent trop tard, après avoir tenté des méthodes dangereuses, parce qu’elles ignoraient que la loi les protège », témoigne Dr Aïssata Koné, gynécologue à Abidjan.
Ces mots rappellent un paradoxe : une réforme légale ne suffit pas à elle seule à sauver des vies. Elle doit s’accompagner d’une révolution des mentalités et d’une mobilisation concrète des acteurs de santé, des médias et des communautés.
C’est là tout l’enjeu de la campagne "ParceQueTuComptes", qui appelle à une prise de conscience collective. Informer, oui, mais sans détours : expliquer clairement les conditions légales de l’IVG, déconstruire les idées reçues (« L’avortement sécurisé est un crime »), et rappeler que les femmes concernées ne sont ni des coupables ni des marginales, mais des personnes en quête de soins et de dignité. Les obstacles ? Ils sont multiples : coûts élevés des interventions dans les structures privées, manque de matériel dans les zones rurales, réticences religieuses ou culturelles. Autant de barrières qui transforment un droit en privilège inaccessible pour beaucoup.
Parmi les jeunes de 15 à 35 ans, pourtant directement concernés, la méconnaissance persiste. « Beaucoup croient encore que l’avortement est totalement interdit, ou qu’une IVG légale est une procédure compliquée réservée aux riches », explique Fatou Traoré, militante féministe. Les réseaux sociaux, souvent vecteurs de désinformation, pourraient au contraire devenir des relais d’espoir : des influenceurs et journalistes locaux commencent à partager des témoignages et des infographies vulgarisant l’article 427. Une lueur dans un paysage médiatique encore timide.
Le combat pour l’accès sécurisé à l’IVG est avant tout un combat pour la santé publique. Les complications des avortements clandestins pèsent lourd sur un système de santé déjà fragile. Pourtant, des solutions existent : Mettre en place un mécanisme d’accès moins contraignant en formant les sages-femmes sur l’accompagnement non stigmatisant, le personnel juridique, intégrer l’IVG sécurisé dans les programmes de santé reproductive, ou encore créer des lignes téléphoniques anonymes pour orienter les femmes. Des initiatives pilotes émergent, comme à Bouaké, où un centre de santé a instauré des entretiens pré-IVG avec des psychologues.
Mais la clé réside peut-être dans les récits eux-mêmes. Ceux des survivantes de violences sexuelles, des mères dont la santé a été sauvée grâce à la loi, ou des médecins qui défendent quotidiennement ce droit. Leur parole, longtemps étouffée, pourrait briser le cycle du silence. Car comme le rappelle la campagne, « s’informer, c’est se protéger ». Protéger sa vie, son avenir, et celui d’une génération de femmes qui méritent bien plus que des lois inaccessibles : une société à l’écoute.
Aujourd’hui, la balle est dans le camp de tous. Parents, Autorités, soignants, enseignants, artistes, familles… Chaque acte compte : partager une information vérifiée, accompagner sans juger, exiger des structures médicales équipées. Parce qu’une loi ne vit que par celles et ceux qui la font respecter. Parce qu’en Côte d’Ivoire, comme ailleurs, aucune femme ne devrait choisir entre sa dignité et sa survie.


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