Côte d'Ivoire : Fuite du cacao vers les pays voisins, une centrale syndicale agricole dit avoir alerté les autorités depuis octobre 2023
La centrale devant la presse vendredi à Abidjan
La fuite du cacao ivoirien vers les pays limitrophes et l'extraction illégale des ressources du sous-sol sont au cœur des préoccupations de la Centrale Syndicale Agricole de Côte d'Ivoire (CESA-CI). Lors d'une conférence de presse tenue le vendredi 17 janvier 2025, soit 48 heures après que le gouvernement a pris des mesures conservatoires contre des responsables de l'administration, de la sécurité et des militaires pour leur implication présumée dans ce trafic, le président de la CESA-CI, Seydou Kiébré, a exprimé son inquiétude.
« Depuis de nombreuses années, la filière cacaoyère en Côte d’Ivoire subit les conséquences de la fuite du cacao vers les pays voisins. Nous avons tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps. En octobre 2023, lors de notre campagne de sensibilisation à Sipilou, le préfet a d'abord refusé de nous laisser tenir notre rencontre avec les producteurs. Ce n'est qu'après des échanges houleux avec mon secrétaire général qu'il a finalement accepté, vers 1 heure du matin », a-t-il expliqué, révélant les difficultés rencontrées par ses collaborateurs sur le terrain, souvent sous le regard passif des forces de l’ordre et des autorités administratives.
Le jour de cette rencontre, le chef canton a boycotté la réunion, mais grâce à l'intervention du directeur général du Conseil café-cacao, l'accès à la salle de réunion a été finalement accordé. Cependant, lors de la mise en œuvre de leur stratégie de lutte contre la fuite des fèves, un délégué de la CESA-CI à Sipilou a été agressé, et sa note de mission a été déchirée par un individu d'un syndicat favorable au trafic vers la Guinée, tout cela sous le regard indifférent des forces de l’ordre. « Notre présence sur le terrain ne date pas d’aujourd’hui. Nous avons permis la saisie de 1 350 sacs de cacao. Un de nos délégués a été retenu toute une journée, et il a fallu l’intervention du général de corps d’armée de la gendarmerie pour qu'il soit libéré », a dénoncé M. Kiébré, déterminé à comprendre pourquoi les populations locales semblent également motivées à convoyer leur cacao vers la Guinée.
Les producteurs ont évoqué plusieurs raisons pour justifier leur choix : l’inaccessibilité des routes pour écouler leurs produits, le prix du cacao en Côte d’Ivoire qui est inférieur à celui proposé dans les pays voisins, la proximité géographique avec ces pays, et la liquidité immédiate offerte par les trafiquants. « Parfois, on leur remet des reçus de pesée d’achat et ils doivent attendre plusieurs jours avant de recevoir leur paiement, alors qu’aucune coopérative n’est financée ni soutenue depuis des décennies. Ils se sentent abandonnés par l’État et par le Conseil café-cacao, qui a subdivisé la zone café-cacao en 13 délégations, mais dont les agents sont trop peu nombreux pour couvrir toutes les localités », a expliqué M. Kiébré.
« Ce n’est pas pour autant que nous allons encourager ou favoriser ce trafic qui fragilise l’économie ivoirienne. Comment l’État pourrait-il alors construire des écoles, des routes ou des centres de santé si tous vos produits sont écoulés chez le voisin ? Il faut donner à l’État les moyens d’agir pour vous », a-t-il ajouté, condamnant fermement cette situation. Bien qu'il espère voir la marge bénéficiaire passer de 100 FCFA à 500 FCFA pour le prix bord-champ, il estime que cela ne justifie pas l'évasion de cette ressource vitale pour l'économie ivoirienne.
Le manque à gagner dû à ces trafics est estimé à plusieurs milliards de FCFA. Chaque jour, entre 3 000 et 4 000 sacs, appelés « Bôrrô » en Côte d’Ivoire, sont transportés à moto ou en tricycle par les trafiquants, représentant environ 280 tonnes, soit une perte de 504 millions de FCFA par jour. M. Kiébré a encouragé l'État à envisager un système hybride de commercialisation qui capte les variations des cours à l’international tout en maintenant un prix stabilisé et garanti aux producteurs, afin de mettre fin aux frustrations des planteurs de café et cacao.
« Le mal est profond. Des actions fortes sont nécessaires pour venir à bout de ce fléau », a déclaré le secrétaire général de la CESA-CI.
« C’est une mafia déguisée qu'il faut enrayer dès maintenant. Le combat sera difficile, mais pas impossible. Même en pleine journée, des trafics s’opèrent à des corridors, ce qui montre qu'il y a un problème. Cependant, certains éléments des forces de l’ordre ne sont pas favorables à ce projet et pourraient le faire échouer », a ajouté Thibeaut Yoro, secrétaire général de la CESA-CI.
Pour lutter efficacement contre ce trafic, la CESA-CI propose de mobiliser un seul corps des Forces de défense et de sécurité pour mieux situer les responsabilités, d'associer les syndicats agricoles et de leur fournir des moyens matériels et financiers, de créer des ports secs aux frontières pour percevoir les droits et taxes de l’État sur place, ainsi que de créer un fonds de 25 milliards de FCFA pour financer et garantir les activités des producteurs et des coopératives.
Wassimagnon
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