Cameroun : Tony Obam Bikoué, un industriel sans usine
C’est encore l'histoire d'un empire industriel invisible dans la filière banane plantain au Cameroun.
Par un matin brumeux de novembre, KOACI a interpellé le patron de la Fédération des professionnels de banane plantain, ainsi que son responsable de la communication et marketing : l’objectif était d’avoir des réponses sur une série de questions et d’accusations concernant Tony Obam Bikoué, qui se présente comme l'un des plus importants industriels de la filière banane plantain au Cameroun.
Son nom résonne régulièrement dans les médias locaux, où il est présenté comme un « jeune capitaine d'industrie visionnaire », promettant de révolutionner le secteur. Mais derrière cette image soigneusement construite se cache une réalité bien différente.
Le mystère des usines fantômes
« Nous assisterons bientôt à la pose de la première pierre de l’usine », se contente d’affirmer Zephyrin Koloko, responsable marketing et communication de la fédération de banane plantain. Dans certains medias l’on indique que « les installations industrielles de Tony Obam sont parmi les plus modernes du pays ». Pourtant, lorsque nous lui demandons de nous faire visiter ces fameux sites de production, les réponses se font évasives. « C'est compliqué en ce moment ». « Il faut attendre après le match de Gala entre légendes camerounaises et brésiliennes ». Zephyrin Koloko affirme dans un Voice sur WhatsApp, que ce serait contreproductif pour l’avenir de ce jeune d’écrire en ce moment sur ce sujet, et que nous devons plutôt le soutenir.»
Notre enquête de plusieurs semaines nous a menés à Kribi dans le sud du pays où Tony Obam Bikoue dit être originaire, à la recherche de ces installations industrielles tant vantées. À Douala, où M. Obam prétend posséder sa principale unité de transformation, personne n'a jamais entendu parler de son usine. À Bafoussam, où il affirme disposer d'un centre de conditionnement ultramoderne, les autorités locales consultées n'ont aucune trace d'une telle infrastructure.
« Je n'ai jamais vu la moindre usine appartenant à Tony Obam », confie sous couvert d'anonymat un haut responsable du Ministère de l’agriculture et du développement rural (Minader). « Son nom n'apparaît dans aucun registre des installations industrielles agréées du pays», poursuit notre interlocuteur.
Un « empire » bâti sur du vent
Le paradoxe Obam Bikoué ne s'arrête pas là. Président de la Fédération des professionnels de banane plantain depuis plusieurs années, il se présente comme un acteur majeur de la filière. Mais là encore, les zones d'ombre s'accumulent.
Nos investigations révèlent que ses activités se limitent en réalité à celles d'un simple planteur et intermédiaire commercial. Il achète des bananes plantains auprès de petits producteurs pour les revendre à des grossistes, sans aucune valeur ajoutée industrielle.
« M. Obam est un commerçant comme les autres », témoigne Jean-Marc Elong, producteur de bananes plantains depuis vingt ans. « Il a quelques plantations propres, pas d'usines de transformation. Il se contente d'acheter et de revendre. Mais il a le soutien du gouvernement ».
Les chiffres qu'il avance régulièrement dans la presse – « plus de 1000 employés », « capacité de production de 100 tonnes par jour » - ne résistent pas à l'analyse.
Des recherches auprès de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) montrent qu’aucun personnel de la fédération de banane plantain n’est enregistré.
Une Fédération aux contours flous
La présidence de la Fédération des professionnels de banane plantain semble être le principal faire-valoir de Tony Obam Bikoué. Mais là encore, l'enquête révèle des incohérences troublantes.
« La Fédération existe surtout sur le papier », confie un ancien membre du bureau exécutif. « Les réunions sont rares, les actions concrètes inexistantes. C'est devenu un outil de promotion personnelle pour son président. »
Ce dernier a été reçu par presque tous les membres du gouvernement qui ont décidé d’apporter leur soutien à Tony Obam dans le cadre du match de Gala prévu en décembre entre anciens footballeurs camerounais et brésiliens.
Impossible d'obtenir une liste précise des membres ou des rapports d'activités. Les ressources de l'organisation restent mystérieuses, tout comme son fonctionnement réel. Plusieurs acteurs majeurs de la filière affirment d'ailleurs ne pas en faire partie, malgré les affirmations contraires de M. Obam.
L'art de la mise en scène
Comment Tony Obam Bikoué a-t-il réussi à construire cette image d'industriel prospère sans posséder la moindre installation industrielle ? Probablement grâce à une stratégie de communication bien rodée.
Présent dans tous les événements du secteur, multipliant les interviews dans les médias locaux, il a su tisser un réseau d'influence qui lui permet de maintenir cette façade. Les photos qu'il présente comme celles de ses usines sont en réalité celles d'autres installations, parfois même situées dans d'autres pays obtenues lors de ses voyages à l’étranger. Notamment au Nigeria et hors du continent.
« C'est un maître dans l'art de la mise en scène », analyse un consultant spécialisé dans la filière agricole. « Il utilise le titre de président de la Fédération pour se donner une légitimité, mais derrière les discours grandiloquents, il n'y a rien de concret. »
Des documents introuvables
Notre enquête s'est heurtée à un obstacle majeur : l'absence totale de documents officiels attestant des activités industrielles de Tony Obam Bikoué. Ni le registre du commerce, ni les services des impôts, ni le Ministère de l'Industrie ne possèdent de traces des installations qu'il prétend posséder.
Le silence des autorités
Face à ces contradictions, nous avons sollicité la réaction des autorités compétentes. Le Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural (MINADER) se contente d'une réponse laconique : « M. Obam Bikoué est effectivement président de la Fédération des professionnels de banane plantain. Pour le reste, nous n'avons pas de commentaires à faire », explique le responsable de la Communication du Minader.
Cette attitude illustre le malaise des institutions face à ce personnage qui a su se rendre incontournable dans les cercles de décision, malgré l'absence de réalisations concrètes.
Au-delà du cas personnel de Tony Obam Bikoué, cette situation pose des questions sur l'état de la filière banane plantain au Cameroun. Plusieurs experts s'inquiètent des conséquences de cette mascarade sur le développement du secteur.
« Pendant que nous nous focalisons sur ces chimères, les vrais problèmes de la filière restent sans solution », déplore Dr. M. Nounga, agronome spécialisée dans les cultures vivrières. « Les petits producteurs continuent de souffrir du manque d'infrastructures de stockage et de transformation, pendant que certains s'approprient le titre d'industriel sans avoir investi un franc dans la production. » Notre enquête nous a menés à la rencontre des véritables acteurs de la filière banane plantain. Leur témoignage est unanime : Tony Obam Bikoué n'est pas l'industriel qu'il prétend être.
« Je travaille dans ce secteur depuis plus de 30 ans », témoigne Papa Simon, grossiste au marché du Mfoundi à Yaoundé. « Je connais tous les acteurs sérieux de la filière. M. Obam est un commerçant qui a su se faire une place grâce à ses relations, mais parler d'industrie est une plaisanterie. »
Malgré nos nombreuses sollicitations, Tony Obam Bikoué n'a pas souhaité répondre précisément à nos questions sur, (l'emplacement exact de ses supposées usines, le nombre réel de ses employés, ses volumes de production, ses infrastructures de stockage, les ressources de la Fédération qu'il préside).
L'histoire de Tony Obam Bikoué, 40 ans, illustre parfaitement le phénomène des « industriels de papier », qui gangrène certains secteurs de l'économie camerounaise. Derrière les apparences soigneusement entretenues se cache une réalité bien plus modeste : celle d'un commerçant qui a su transformer son réseau d'influence en une image d'industriel prospère.
Comment un acteur peut-il se présenter pendant des années comme un industriel majeur sans que personne ne vérifie la réalité de ses installations ?
En attendant des réponses à ces questions, Tony Obam Bikoué continue de parader dans les médias, promettant des investissements pharaoniques qui ne se concrétisent jamais. Pendant ce temps, la filière banane plantain attend toujours ses véritables industriels.
Plusieurs tentatives ont été faites pour obtenir une réaction officielle de M. Obam Bikoué concernant les éléments de cette enquête. Il n'a pas donné suite à nos sollicitations.
-Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com
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