Cameroun : Coup de force au sommet de l'État camerounais, l'affaire BAT révèle un vaste scandale foncier
Samuel Mvondo Ayolo (Ph), Directeur du cabinet de Biya impliqué dans l'affaire BAT
Dans une affaire qui secoue les plus hautes sphères de l'État camerounais, le patrimoine foncier de la société British American Tobacco (BAT) se retrouve au cœur d'un scandale impliquant des personnalités influentes et mettant en lumière des pratiques douteuses au sein de l'administration.
Le 13 février 1947, BAT, alors connue sous le nom de J. Bastos d'Afrique centrale, entame une procédure d'immatriculation pour un terrain de 18 hectares 33 ares et 80 centiares situés dans le quartier prisé de Bastos à Yaoundé. Le 26 mai 1950, un arrêté du haut-commissaire de la République transforme la concession provisoire en concession définitive. Le titre foncier N°175 est finalement établi le 10 mars 1953, officialisant les droits de propriété de la société sur ce vaste domaine.
Pendant plus de 70 ans, BAT jouit paisiblement de ses droits fonciers, cédant occasionnellement certaines parcelles au gré de ses actionnaires. Cependant, la situation bascule brutalement le 29 mars 2023, lorsque le ministre chargé des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf), Henri Eyebe Ayissi, engage une série d'actions administratives visant à déposséder BAT de son patrimoine.
Le processus s'accélère en mars 2024. S'appuyant sur un rapport du préfet du Mfoundi qui conteste la mise en valeur du terrain effectuée en 1949, le ministre Eyebe Ayissi prend la décision de retirer à BAT plus de 4 hectares de terres. Ces parcelles sont alors rétrocédées à des familles représentées par l'avocat Chi Nouako, une figure controversée déjà impliquée dans le scandale foncier de Dikolo (Douala).
La situation prend une tournure encore plus dramatique lorsque, le 20 juin 2024, le Mindcaf publie l'arrêté N°01683, dépossédant BAT de l'intégralité de ses 18 hectares. Cette décision ouvre la voie à un véritable dépeçage du domaine, au profit de personnalités influentes.
Parmi les bénéficiaires présumés de ce partage, on trouve des noms qui font trembler le Cameroun : Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil de la présidence, Chi Nouako Mathieu, et l'avocat Chi Nouako Olivier. La rapidité et l'opacité des procédures judiciaires et administratives soulèvent de nombreuses questions. Des titres fonciers auraient été établis en un temps record, parfois le jour même des décisions de justice, avec la complicité présumée des services du cadastre.
Face à l'ampleur du scandale, le président Paul Biya est contraint d'intervenir. Le 23 juillet, par l'intermédiaire du Secrétaire Général de la Présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, il ordonne la création d'une commission mixte d'enquête composée de gendarmes et de policiers. Cette commission a pour mission d'enquêter "en profondeur" et d'établir les responsabilités des différents acteurs impliqués dans la spoliation du domaine privé de l'État et les atteintes à la propriété foncière des particuliers.
Trois jours plus tard, le 26 juillet, le président Biya va plus loin en intimant l'ordre au Mindcaf d'annuler l'arrêté N°01683 du 20 juin 2024, qui avait dépossédé BAT de sa propriété. Cette intervention au plus haut niveau de l'État témoigne de la gravité de l'affaire, que le président semble placer au même rang que l'assassinat du journaliste Martinez Zogo.
Pour sa part, BAT n'est pas restée inactive. Dans un communiqué de presse, la société annonce avoir engagé des actions diplomatiques, juridiques et administratives pour défendre ses droits, tout en affirmant son respect de l'État de droit camerounais.
Cette affaire soulève de nombreuses questions sur la gouvernance foncière au Cameroun et met en lumière les pratiques de corruption qui gangrènent l'administration. Elle révèle également les tensions au sommet de l'État, où différents groupes d'intérêts semblent s'affronter pour le contrôle des ressources foncières.
L'issue de l'enquête ordonnée par le président Biya sera déterminante. Elle pourrait non seulement déterminer l'avenir du patrimoine de BAT, mais aussi avoir des répercussions importantes sur la confiance des investisseurs étrangers au Cameroun et sur la crédibilité du gouvernement en matière de gestion foncière.
Alors que le pays fait face à de nombreux défis économiques et sociaux, cette affaire rappelle l'urgence d'une réforme en profondeur de la gouvernance foncière et de la lutte contre la corruption au Cameroun.
Armand Ougock, correspondant permanent de Koaci au Cameroun.
-Joindre la rédaction camerounaise de Koaci au 237 691154277-oucameroun@koaci.com
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