Côte d'Ivoire : Dabou, un voyage malheureux, de la cargaison perdue à une beuverie collective
le camion renversé (Ph KOACI)
Le soleil tapait fort ce jour-là, lorsqu’un camion chargé de boissons quitta les entrepôts d’une entreprise de distribution à Dabou. Yoboué Kévin, un jeune chauffeur expérimenté, prit la route en compagnie d’Ahmed, son co-pilote. Le véhicule, un imposant camion de marque Heicher immatriculé 2211 LX 01, contenait pas moins de 289 casiers remplis de boissons variées : bières, vins, et sodas. Destination : N'Guessankro, une petite localité reculée dans la sous-préfecture de Grand-Lahou.
Le trajet s’annonçait sans encombre. À bord, les deux hommes bavardaient calmement en avalant les kilomètres sous le poids de la cargaison. Mais à environ 20 kilomètres de leur point de départ, la situation changea brusquement. Alors que le camion descendait une pente raide, non loin du village de Toupah, un éclatement soudain brisa la sérénité du voyage : la roue arrière droite venait d’exploser. Le bruit assourdissant fit immédiatement comprendre à Yoboué qu’il devait garder son sang-froid pour éviter une catastrophe.
Plutôt que d’appuyer brutalement sur le frein, ce qui aurait pu provoquer une perte totale de contrôle, il décida de s’agripper au volant avec fermeté. Mais malgré son habilité, le camion, devenu instable, entama une dangereuse danse sur la route. Le véhicule zigzaguait, projetant çà et là des casiers hors de la remorque. Les deux hommes luttaient contre la panique tandis que le camion se balançait dangereusement. Dans un dernier soubresaut, le véhicule se renversa brutalement sur le bas-côté, déversant toute la cargaison.
Ahmed, assis sur le siège passager, fut violemment projeté contre le tableau de bord. Blessé à l’épaule et souffrant de plusieurs traumatismes crâniens, il peinait à bouger. Yoboué, quant à lui, réussit à sortir du camion avec difficulté. En dépit de la douleur et du choc, leur premier réflexe fut de chercher de l’aide auprès des passants, espérant qu'ils trouveraient des âmes charitables prêtes à secourir des accidentés en détresse.
Mais ce n’était pas le secours qu’ils allaient recevoir. En lieu et place d'une aide bienveillante, les premiers curieux arrivés sur les lieux jetèrent un regard intéressé non pas sur les blessés, mais sur la cargaison éparpillée. Très vite, l’attention des villageois se détourna de Yoboué et Ahmed pour se concentrer sur les bouteilles intactes jonchant le sol. Ce qui aurait pu être un moment de solidarité bascula rapidement en une scène chaotique : l’occasion de s’emparer de boissons gratuites n’était visiblement pas à rater.
Sans attendre, hommes et femmes se ruèrent vers le stock renversé, ouvrant des bouteilles à même le sol et buvant sans retenue. Le bruit de l’accident et la "manne providentielle" qu’il avait générée attirèrent d’autres habitants de Toupah. En quelques minutes, le lieu devint le théâtre d’une fête improvisée. L’alcool coulait à flot, et chaque bouteille récupérée ou vidée alimentait l’ambiance festive. Des rires éclatèrent, les participants trinquant entre eux, comme si l’accident n’était qu’un prétexte à la fête. Certains ne se contentèrent pas de boire sur place : ils remplirent sacs et paniers de bouteilles, emportant chez eux ce qu’ils pouvaient.
Yoboué Kévin et Ahmed, abasourdis par la tournure des événements, se retrouvèrent impuissants. Le chauffeur, encore sous le choc de l’accident, regardait les villageois festoyer autour de ce qui, quelques heures plus tôt, représentait une cargaison précieuse. Ahmed, souffrant de ses blessures, essayait de garder son calme, mais l’injustice de la situation le plongeait dans une rage silencieuse. Le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux leur semblait irréel : les hommes et femmes venus soi-disant en aide se contentaient de boire et de voler, sans une once de remords.
Lorsque la gendarmerie de Dabou fut enfin alertée et arriva sur les lieux, il était déjà trop tard. Une grande partie de la cargaison avait été vidée ou emportée. Les gendarmes trouvèrent un groupe de villageois ivres, titubant autour du camion renversé. La tâche des forces de l’ordre s’annonçait compliquée. Arrêter des dizaines de personnes pour un pillage de boissons aurait été une entreprise délicate, d’autant plus que beaucoup étaient dans un état d’ébriété avancé. Devant cette scène surréaliste, les gendarmes décidèrent de se concentrer sur l’essentiel : conduire les deux blessés à l’hôpital.
Yoboué Kévin et Ahmed furent transportés à l’hôpital général de Dabou, où ils reçurent des soins d’urgence. Malgré la gravité apparente des blessures d'Ahmed, les médecins purent rassurer les deux hommes : leur vie n’était pas en danger. Cependant, la perte matérielle était totale. Aucun des casiers de boissons n’avait pu être récupéré, laissant l’entreprise de distribution face à une perte sèche.
Jean Chresus, Abidjan
Infos à la une
Communiqués
Côte d'Ivoire
Côte d'Ivoire
Côte d'Ivoire