Côte d'Ivoire : Bilinguisme précoce, atout ou inconvénient ? Les éclairages d'un enseignant-chercheur dans un entretien
Ayé Clarisse Hager-M'Boua (ph KOACI)
Dans une interview accordée à KOACI, Ayé Clarisse Hager-M'Boua Enseignant-Chercheur au Département des Sciences du Langage et de la Communication de l'Université Alassane Ouattara, Bouaké, par ailleurs Linguiste de formation spécialisée en Syntaxe (Grammaire Générative) et qui a pour Thème de recherche l’Education Bilingue/Plurilingue/Multilingue en Afrique subsaharienne; après la Maîtrise en Linguistique à l’Université de Cocody, Abidjan, a obtenu la bourse suisse pour étudiants étrangers qui lui a permis de poursuivre ses études et activités de recherche en Linguistique à l’Université de Genève, Suisse, jusqu'à l'obtention du Doctorat (Docteure ès-Lettres en Linguistique Générale) sous la Direction du Professeur Luigi Rizzi, répond à certaines préoccupations sur la question du Bilinguisme précoce en Côte d'Ivoire, et donne sa méthodologie comme approche. Entretien...
KOACI: Qu'est-ce que le Bilinguisme précoce et quel est son objectif ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: Le bilinguisme précoce, c’est la capacité qu’a un enfant de parler deux langues dès la petite enfance. C’est le cas d’un enfant dont les parents ne parlent pas la même langue. Chaque parent va donc parler sa langue avec l’enfant : on parle d’enfant biculturel/bilingue. Le bilinguisme précoce peut découler également du Dual-Language Learning, à savoir : l'usage de deux langues à la fois comme langues de scolarisation (50% d'activités en L1 et 50% d'activités en L2). C’est le cas, par exemple, des élèves francophones aux Etats-Unis qui suivent un programme d’enseignement bilingue : français / anglais en fonction d’un modèle (50:50, 60:40 ou 70:30) du Dual-Language Learning très en vogue aux Etats-Unis. L'objectif du bilinguisme précoce en Côte d’Ivoire, c'est de permettre à l'enfant du village qui fait son entrée à l'école d'acquérir le français, langue d'enseignement et langue officielle du pays, en se servant de sa langue maternelle comme support les premières années d'école primaire (préscolaire, CP1, CP2, CE1 et CE2) pour un développement harmonieux du langage (alphabet, lexique, syntaxe) et également une meilleure acquisition du français par un transfert des compétences acquises en langue maternelle (L1) vers le français (L2).
KOACI: À travers vos propos, le bilinguisme précoce en Côte d'Ivoire est un avantage ou handicap ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: En fait, le public cible (les élèves des écoles primaires publiques situées en zones rurales) est d'office bilingue : langue maternelle et français (même si l'usage du français est limité à l'école). C'est donc un avantage (voir les travaux du Prof. François Grosjean) et il serait judicieux pour les élèves des écoles primaires publiques situées en zones rurales du pays d'apprendre dans un premier temps la forme écrite de leur langue maternelle (alphabet, lexique, syntaxe), une langue qu'ils maîtrisent déjà, après cinq années de pratique. Ils pourront, par la suite, acquérir le français (alphabet, lexique, syntaxe) via le transfert des compétences acquises en langue maternelle (L1) telles que la conscience phonologique (la capacité à manipuler les phonèmes ou sons pertinents de la langue maternelle), la connaissance du lexique mental (la capacité à générer les synonymes et antonymes des mots familiers) et la compréhension de texte (oral ou écrit) vers le français (L2).
KOACI: Quelles sont les structures en Côte d'Ivoire visées par le bilinguisme précoce et pourquoi ces structures ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: En 2016, dans le cadre du Programme TRECC (Transforming Education in Cocoa Communities), auquel j’ai participé en tant que Consultant ; j'ai constaté que les participants de l'enquête TRECC, à savoir : des élèves des écoles primaires publiques situées dans les villages du Département d'Adzopé (pour l'attié) et ceux des écoles primaires publiques situées dans les villages du Département de Sikensi (pour l'abidji) n'avaient pas du tout la conscience phonologique : la correspondance phonème (son) <=> graphème (lettre) ; d'où les difficultés en lecture. Selon les résultats de l'enquête TRECC, seulement 20% des élèves de CM1 savent lire correctement. Autrement dit, ces élèves ont parcouru le cycle primaire : Préscolaire, CP1, CP2, CE1, CE2 sans savoir lire correctement ; et ce à cause de l'absence de la conscience phonologique chez ces élèves et aussi, bien évidemment, à cause de la barrière linguistique (usage d'une langue que les élèves ne comprennent pas pour leur donner les premières instructions pour l’apprentissage à lire, à écrire et à compter). En effet, pour un développement harmonieux de la littératie et de la numératie (capacité à lire, à écrire et à calculer et de pouvoir utiliser ces compétences dans la vie active) chez les élèves des écoles primaires publiques situées en zones rurales de la Côte d'Ivoire, un programme d'enseignement bilingue : L1 / L2 pour l'éducation de base s’avère nécessaire.
KOACI: Pensez-vous réellement que la mise en place du bilinguisme précoce apportera un plus ? Avez-vous des statistiques d'autres contrées démontrant la perspicacité du bilinguisme précoce ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: Il y a, en effet, de nombreux atouts et avantages pour le bilinguisme précoce chez les enfants de 6 à 9 ans. En fait, les études en neurosciences ont révélé qu'il y a deux périodes de plasticité : de 0 à 5 ans et de 6 à 9 ans. La période de 6 à 9 ans est donc propice pour l'enfant/élève du village dans l'apprentissage d'une deuxième langue, en l’occurrence le français, sa langue seconde, langue d'enseignement et langue officielle de la Côte d'Ivoire. L'étude de cas menée aux États-Unis par des chercheurs, spécialistes en Linguistique, Neurosciences et Psychologie, a montré que les élèves qui ont suivi un programme d’enseignement bilingue, selon le modèle (50:50) du Dual-Language Learning, ont eu de meilleures performances dans la lecture des phonèmes, la génération des synonymes et des antonymes ainsi que la reconnaissance des classes grammaticales que les élèves ayant suivi un programme d’enseignement monolingue (Berens et al., 2013). L'autre étude de cas menée en Angleterre par un autre groupe de chercheurs dans le domaine du bilinguisme indique que le vocabulaire selon le Oxford Communicative Development Inventory (Oxford CDI) des enfants de deux à trois ans qui parlent une langue additionnelle (anglais + italien, anglais + français, anglais + hindi, etc.) se développe plus rapidement, et donc un lexique mental plus riche que celui des enfants monolingues : anglais (Floccia et al., 2018).
KOACI: Quelles sont les localités ivoiriennes visées par le bilinguisme précoce ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: Dès l’année scolaire 2000-2001, le gouvernement ivoirien a introduit 10 langues (l'abidji, l'agni, l'attié, le baoulé, le bété, le guéré, le koulango, le mahouka, le senoufo, le yacouba) dans le système éducatif ivoirien à travers le Programme d'Ecole Intégrée (PEI), un programme d'éducation de base en langue maternelle uniquement, les deux premières années d'école primaire, puis l'usage progressif du français, la langue d'enseignement en Côte d'Ivoire. En fait, le Programme d'Ecole Intégrée avec l’approche séquentielle (d’abord un enseignement uniquement en langue maternelle, puis deux années plus tard, un enseignement en français) n'est en réalité pas un programme d'enseignement bilingue selon la méthodologie du Dual-Language Learning qui adopte plutôt l’approche simultanée. En effet, l'analyse des données de l'enquête TRECC a révélé que les élèves des écoles primaires publiques dites écoles EPP ont eu de meilleures performances en lecture des lettres, mots et textes, en connaissance des mots familiers (génération des synonymes et antonymes) que ceux des écoles dites PEI. Ces résultats contradictoires sont dus à l'exposition tardive au français des élèves des écoles dites PEI ; d'où la nécessité du PEI nouvelle version avec l'usage à la fois de la langue maternelle et du français dès la première année d'école (une exposition au français à 5 ou 6 ans et non à 8 ans). Etant donné que le PEI doit être implémenté dans toutes les localités du pays (dans les zones rurales principalement), de façon progressive donc, nous espérons qu'avec le PEI nouvelle version, le bilinguisme précoce (langue maternelle et français) sera implémenté dans toutes les localités de la Côte d'Ivoire avec pour objectif principal le développement, la valorisation et la promotion des langues ivoiriennes ou de quatre langues selon les quatre groupes linguistiques pour en faire des langues nationales.
KOACI: Avez-vous des préoccupations à signaler aux autorités ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: Ma préoccupation, c'est que malgré les progrès de scolarisation des deux dernières décennies, le rapport de la Banque Mondiale (Banque Mondiale/World Bank 2019) pointe du doigt le "Learning poverty", en français la "pauvreté d’apprentissage", un indicateur des déficiences au niveau des systèmes éducatifs de nombreux pays en développement : « Learning poverty is estimated to rise to 63 percent in developing countries » (Ending Learning Poverty, World Bank Group). Ce diagnostic est fait dans les détails grâce aux tests d'évaluation homologués du PASEC (Programme d’Analyse des Systèmes Educatifs de la CONFEMEN), qui ont lieu dans les 14 pays francophones d’Afrique subsaharienne, et dont les résultats sont publiés dans le dernier rapport du PASEC (voir PASEC 2019a/b) de manière comparable aux évaluations menées dans les pays du Nord sous les auspices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OECD) et sous l’enseigne du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). Il faut donc remédier à ce déficit au niveau de l’apprentissage en s’appuyant sur les langues maternelles.
KOACI: Comme mot de fin, quelle méthodologie proposez-vous ?
Ayé Clarisse Hager-M'Boua: La cause des performances en lecture, globalement insatisfaisantes, des élèves des écoles primaires publiques de la Côte d'Ivoire telles que révélées dans le dernier rapport du PASEC est due non seulement aux conditions d’apprentissage scolaire (telles que les effectifs pléthoriques dans les écoles dites EPP des villes du pays, le manque d’enseignants bi-compétents pour les écoles dites PEI, etc.), mais aussi et surtout à la barrière linguistique entre la langue maternelle (L1) et le français, langue seconde (L2). Notre but, c’est de proposer une issue viable, c’est-à-dire une solution qui permettra d’éviter l’échec programmé dans le parcours scolaire ou du moins d’en réduire la proportion (4/5 élèves de niveau CM1 ne savent pas lire correctement). Cela passe nécessairement par l’apprentissage des « fondamentaux en lecture-écriture » par les élèves des écoles primaires publiques de la Côte d’Ivoire, mais aussi par la prise en compte des prérequis cognitifs (l'attention et la mémoire) et linguistiques (l'alphabet, le lexique, la syntaxe) de l’élève comme point de départ de la découverte de sa propre capacité à lire/écrire/calculer. Dans la méthodologie que nous proposons, l’apprentissage scolaire, à partir des compétences clés en littératie et en numératie acquises en langue maternelle telle que la capacité d’établir la correspondance son <=> lettre et celle des mots de la langue maternelle au français, servira de levier pour transférer les compétences acquises en langue maternelle (L1) aux fins d’une meilleure acquisition du français (L2) et, par la suite, de l’anglais (L3).
Entretien réalisé par T.K.Emile à Bouaké
tkemile@koaci.com
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Tu es dans un laboratoire ? Va apprendre pour tes parents...C'est toi paie le professeur de baoulé ? Je ne veux même pas que mon enfant apprenne Français. Donc Elle fait Anglais Français...pour avoir accès très tôt à des documents anglophone. En suisse, tu avais la base en Beté ? Tu es rassasié c'est ça.
Viens tu vas détruire enfant des gens. Déjà à ce niveau c'est nulle. Dire qu'ils vont apprendre leur langue maternelle !?...Pour aller où ? En Chine ? Fabriquez nous des imbéciles à rester sur place.
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